Quelle méthode d’amarrage du fil d’Ariane choisir en plongée souterraine ?

in Equipement/Technique

De l'influence des contextes naturels sur le choix des méthodes d'amarrage du fil d'Ariane en plongée souterraine.

Du rifi…fil aux pays des cavernophiles!

(Archive d'article de Frank VASSEUR publié dans le n° Aout-octobre 2014 du magazine Octopus)

L’engouement actuel pour la plongée souterraine, stimulé par la communication numérique, son développement au-delà du cercle des explorateurs passionnés, a mondialisé les informations, les techniques, les connaissances.

Des pratiquants d’une même activité, oeuvrant en des zones distinctes de la planète, découvrent ainsi des approches, des techniques, des matériels variés, différents, hétérogènes. Ceci d’autant plus que la plongée souterraine se pratique dans des milieux naturels non bornés, soumis à des influences climatiques autochtones et tributaires d’une géologie héritée.

 On pourrait penser ces approches distinctes, antagonistes, opposées. Ce serait occulter les bases communes, unanimement adoptées. L’usage d’un fil-guide en est. Nombreux sont les aspects techniques se rapportant au fil. L’objet de cette prose se limitera aux méthodes d’amarrage, de fractionnement.

Tous les plongeurs souterrains s’accordent sur la nécessité d’un fil d’Ariane, car il:

Garantit la sécurité (ramène à la sortie, évite les sections-pièges)

Facilite la progression (respect de l’espace d’évolution, ne croise pas la galerie, ne colle pas au plafond)

Participe à l’orientation (marqueurs directionnels; indications de distance, balisage de carrefours).

Pourtant sous le terrain, lors de la mise en pratique, les approches divergent, les techniques diffèrent selon qu'on plonge en Europe ou de l'autre côte de l'Atlantique.

Dans la zone caraïbe (Floride, Bahamas, Yucatan, République dominicaine…etc.) ainsi qu’en Australie le fil est amarré directement sur les concrétions et les aspérités rocheuses, à même le rocher. En Europe, le contact du fil avec la roche sont proscrits, les plongeurs installent des intermédiaires qui absorbent les sollicitations, les mises en tension : les fameux élastiques de chambre à air. Ils évitent le cisaillement par abrasion sur le rocher et contribuent à la pérennité du fil.

Amarrage du fil avec un élastique de chambre à air

Fil amarré sur des concrétions au Yucatan

Pourquoi donc ? Quel intérêt auraient ces curieux palmipèdes mal léchés à dépareiller leurs méthodes ? L’une prévaudrait-elle sur l’autre ? Le nouveau continent sacrifierait-il la longévité de l’équipement à la rapidité d’installation ? Le vieux serait-il à la traîne, réfractaire et hostile à toute forme d’évolution salutaire ? Se ringardiserait-il par rapport à une tendance plus « fashion » ?

Une approche avisée du, ou plutôt des milieux naturels, des contextes de pratique fournit quelques éléments de compréhension.

La géologie

Porosité

La différence d’âge s’illustre au niveau de la porosité primaire de la roche (20-25% dans l’arc caraïbe) qui est beaucoup plus élevée que les systèmes méditerranéens, notamment dans les roches du jurassique (1-5%).

Structure pétrographique

Pour les systèmes de l’espace caraïbe (calcaires coquilliers à forte porosité), la roche est beaucoup plus tendre que les calcaires massifs ou dolomies de Méditerranée, plus abrasifs, potentiellement plus agressifs pour le fil d’Ariane

Karstologie

La structure du karst en elle-même n’a rien à voir. Le karst des caraïbes est peu élevé (moins d'une quinzaine de mètres au-dessus du niveau de l'eau sous terre, 50m maximum au centre de la péninsule du Yucatan), alors qu’en Europe, il est fréquent que le massifs culminent de plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de base.

Couverture

En Floride, la couverture pédologique (terres) agit comme une compresse humide. Les eaux de pluie, au lieu de ruisseler et de s’infiltrer immédiatement comme en Europe, sont conservées dans les sols superficiels et percolent plus lentement à travers le karst.

Hydrogéologie

Ces paramètres combinés vont influencer les manifestations des crues, lors des périodes pluvieuses qui augmentent la quantité d’eau en transit dans le karst. Ils conditionnent des mécanismes spécifiques car liés à un contexte hydrogéologique particulier.

Datation

Les calcaires dans lesquels se développent les cavernes n’ont pas le même âge. Ils n’appartiennent ni aux mêmes ères, ni aux mêmes périodes, ni aux mêmes séries.

Les roches jurassiques de Méditerranée sont plus anciennes que celles de Floride et du Yucatan, comme l’indique le tableau ci-dessous.

Environnement en zone caraïbe (Yucatan)

Equipement d'une source européenne

En Europe, lorsque le calibre d’une source est insuffisant pour absorber le volume d’eau qui arrive dans le collecteur, le niveau s’élève, l’eau envahit les galeries habituellement sèches et monte en pression dans l’intérieur du massif. Ces mises en charge atteignent régulièrement plusieurs dizaines de mètres, quand elles ne dépassent pas l’hectomètre. La pression qui s’exerce alors dans les conduits, sur les équipements en place, double, triple, décuple. Cette mise en pression génère une violente accélération de la vitesse d’écoulement, de brutales turbulences qui imposent au fil d’Ariane des vibrations, notamment au niveau des amarrages. Un écoulement dispose d’une capacité de transport, corrélée avec son débit. En crue, le matériel charrié dégrade la visibilité et peut aussi devenir très abrasif à l’image du gresou en zone dolomitique.

Cette circulation violente, turbulente, dégrade les fils d’Ariane en place, saccage les équipements au point de nettoyer parfois la cavité de leur présence. Des essais avec des cordes de spéléologie (11mm de diamètre) ne furent guère probants à la longue, dans les cavités où certaines crues réduisent à néant le travail d’équipement préalable. 

A la longue, le diamètre du fil ne garantit pas sa longévité, c’est plutôt la qualité de l’équipement, le positionnement du guide dans la galerie, hors de contact avec les parois, à l’abri des zones de flux majeur où parfois volent les galets, qui l’assure à court ou moyen terme.

De ce fait, les plongeurs européens optent parfois, dans des cavités où les lignes en matière synthétique ne supportent pas le régime d’écoulement, pour du fil-guide en métal gainé communément désigné « cablette ». Ces guides avec une âme métallique donnent satisfaction depuis plus d’une décennie dans certaines sources où chaque crue détériorait les fils nylon en place.

Fils rompus par les crues en Europe

D'une manière générale, les karsts des Caraïbes fonctionnent selon on mode de drainage diffus (calcaires récents poreux + parfois couvertures meubles épaisses). Les vitesses d'écoulement sont généralement moindres et surtout, les mises en charge beaucoup moins violentes. Lorsque le calibre d’une source est insuffisant pour absorber le volume d’eau qui arrive dans le collecteur, le niveau s’élève jusqu’aux nombreux orifices d’accès à la surface. Du fait des phénomènes de débordement (extravasement), les mises en charge se limitent à quelques mètres puisque l’eau atteint rapidement la surface pour déverser et inonder l'extérieur. Ceci amortit les mises en charges, moteur de l'écoulement, si bien que les crues sont lentes et proportionnellement peu importantes.

S’ajoute à cela la porosité élevée de la roche, qui « absorbe » les montées en pression violentes avec une partie de l'eau pouvant être stockée par ces calcaires lors de fortes mises en charge dans les conduits.

 C’est bien le milieu, l’environnement que les plongeurs souterrains fréquentent qui oriente leurs choix techniques, détermine les techniques d'équipement en fil d'Ariane, motive les différences d’approche deux côtés de l'Atlantique.

Confrontés à des éléments, des milieux et des manifestations, des paramètres et des conditions différentes les explorateurs ont développé des techniques, se sont adaptés en conséquence. C’est ainsi que s’illustre l’intelligence des hommes, dans leur capacité à s’adapter et à évoluer.

Pour exemple, l’usage en Europe de la technique des Caraïbes pour l'équipement de fils temporaires. Plus rapide à l’aller pour l’installation de la ligne, ainsi qu’au déséquipement pour la rembobiner, elle est progressivement adoptée pour des équipements provisoires.

Un autre paramètre, technique cette fois, corrobore la diversité des modes d’équipement. Il s’agit de la technique de relevé topographique, basée sur les mesures sur le fil préalablement métré en Europe. Chaque amarrage à même la roche, autour des promontoires, consacre une longueur de fil, ce qui fausse immanquablement le métrage. Mais ceci, comme disait Kipling, est une autre histoire.

Vouloir définir une prépondérance d’une méthode sur l’autre serait ici délétère, hors sujet, incohérent.

Qui songerait à opposer la technique d’un pêcheur sénégalais à la pratique des inuits qui percent la banquise pour appâter ? A imposer à un pêcheur vietnamien de la baie d’Along une méthode élaborée aux îles Feroé ?

Karst européen

Caribean

Source pyrénenne en crue

Débordement de Cenote, Yucatan

 Merci à

Hervé Jourde (Pôle hydrosciences – Montpellier)

Philippe Audra (Faculté des Sciences – Nice)

Alain Pocobelli (Instructeur de plongée souterraine – Mexique)

Vincent Rouquette-Cathala (Instructeur de plongée souterraine – Mexique)

Nathalie Lasselin (Instructrice de plongée souterraine – Canada)

Brice Maestracci pour la photographie de source en crue

Linda Rennaker (Floride- USA) pour les photographies de Peacock spring inondée

Henry Watkins, Fisheye Photo (Yucatan – Mexique) pour les photographies de Dos ojos inondé

 Glossaire

Grésou dolomitique : sable très fin.

karst : région calcaire, modelée par dissolution chimique de la roche.

substrat : base sur laquelle repose une couche géologique ou la végétation.

Porosité : espace intergranulaire au dépôt du sédiment

Collecteur : Zone de transfert horizontal (ou oblique) des eaux souterraines

Frank Vasseur

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

*